ENTRETIEN / Ibrahim Salah : « Je n’ai encore rien montré à Rennes »

Publié le 20 avril 2023 à 12h05 par Thomas Rassouli

Il y a deux mois et demi, Ibrahim Salah débarquait à Rennes au dernier jour du mercato, dans l’anonymat, au terme d’une journée riche en émotions. Passé pro sur le tard il y a un an et demi, puis international marocain le mois dernier, l’attaquant raconte à SRO sa fulgurante ascension, avec un naturel étonnant, pour sa première longue interview sous le maillot du Stade rennais. Entretien avec un joueur sans filtre.

« Je joue encore avec le frein à main »

Tu jouais en réserve à La Gantoise l’été dernier, et tu te retrouves à signer à Rennes en janvier, c’est allé très vite. Comment as-tu vécu ces derniers mois ?

Même moi je n’ai pas compris ma vie honnêtement. (rires). C’est très important de garder la tête sur les épaules. Je suis quelqu’un de très humble de base. Même si demain je refais un gros transfert, je suis trop simple. J’ai besoin de ma famille, qu’elle vienne me voir ici, j’ai pris un grand appartement exprès. Ça s’est passé très vite, je n’étais pas prêt à ce que ça aille aussi vite. Mais je suis fier de moi, ma famille est fière de moi, c’est le principal. Après je sais que je n’ai encore rien montré à Rennes. Je n’ai même pas montré 20% de ce que je sais faire, je ne suis pas encore libéré, même à l’entraînement. Les gens ne me connaissent pas encore, même le coach ne me connait pas encore. Il n’y a que Flo (Maurice) ici qui sache de quoi je suis capable, quand il m’a vu à Gand. Je dois encore trouver mes marques ici. J’assimile la Ligue 1, et je serai prêt pour la saison prochaine.

Quelle différence y a t-il entre les championnats belges et français pour toi ?

Ce n’est pas la même chose. À Gand, on joue plus en transition avec des longs ballons, des changements de côté, beaucoup de joueurs en support. Ici, c’est beaucoup dans l’axe, avec des combinaisons, ça va vite. Moi je suis un joueur qui va beaucoup en profondeur. Ce n’est qu’une question de temps, je ne m’inquiète vraiment pas. J’aime beaucoup jouer en faux numéro 9, avec des appels et contre-appels, je suis rapide. Je joue intelligemment car je ne suis pas très costaud aussi.

Ton physique, c’est quelque chose qui a beaucoup compté dans ton évolution de joueur ?

Oui, après je travaille chaque jour au club. Je veux évoluer, apprendre. J’ai juste besoin qu’on me donne l’attention dont j’ai besoin, l’amour dont j’ai besoin. Que je vois que lorsque le coach me parle il est derrière moi. Je dois sentir qu’il y a des gens qui croient en moi. Une fois que ça va arriver…

Tu ne le sens pas à Rennes ?

Si, mais pas comme à Gand car là-bas je venais de la réserve, je connaissais beaucoup de joueurs. Tarik Tissoudali (attaquant de La Gantoise, ndlr) m’a intégré, m’a aidé comme son petit frère.

Comment s’est passée ton intégration au vestiaire ?

C’est un vestiaire jeune, dynamique, la fête (sourires). On écoute beaucoup de musique, les joueurs aiment danser ici (rires). Franchement, on a un très très bon groupe, moi je kiffe. Je sais que c’est à moi de travailler encore et encore. La compréhension sur le terrain, ça je ne l’ai pas encore trop mais ça dépend des joueurs.

Tu parlais à ton arrivée de ce besoin de trouver les affinités sur le terrain avec les autres joueurs. Tu as besoin de connaître chacun de tes partenaires ?

C’est ça. Moi je m’adapte aux joueurs. J’ai encore besoin de joueurs qui viennent demander, jouer. Tu dois encore créer des liens, c’est normal, ça fait 2 mois que je suis ici.

Y a t-il des joueurs avec qui cette affinité se crée plus vite ?

Avec Djed (Spence), Jérémy (Doku) quand il s’appuie sur moi et que je lui remets, Amine (Gouiri) j’aime bien jouer avec lui, Kali aussi j’aime bien, Jeanu (Belocian)… Warmed (Omari) ! Je kiffe ses passes (sourires). Ce n’est qu’une question de temps, je sais qu’une fois que j’aurai enlevé mon masque, car je suis timide, ça va aller tout seul. Et je pense que les supporters vont prendre beaucoup de plaisir. Je joue encore avec le frein à main. Avant de faire quelque chose, j’hésite, et quand tu hésites, c’est mort.

Pourquoi ?

La peur de faire une erreur. Je ne suis pas encore à l’aise à 100%. Quand je rentre, je dois encore beaucoup prouver, prouver que je suis un joueur stable. Une fois que j’ai passé ce cap, je lâche la charrette, je fais ce que je veux avec le ballon, je m’en fous après. Sans ballon, il faut toujours respecter les consignes du coach. Dans les 16 mètres avec ballon, je peux emmener le public avec moi, comme quand je le faisais à Gand.

Quel a été le déclic à La Gantoise ?

J’ai été plusieurs fois le 21e joueur. Je m’entraînais, je prenais confiance en moi à l’entraînement, et je jouais avec la réserve. Quand je suis arrivé avec la réserve, premier match, un goal et un assist, deuxième match, deux buts. Ensuite, je ne suis plus descendu. Entre temps, le coach m’a mis sur le banc, m’a fait descendre… Pendant un mois, j’ai pris confiance. Contre Westerlo, les supporters criaient mon nom, ça m’a donné beaucoup d’amour, même quand je sortais dehors à Gand. Je me sentais important. Contre Anderlecht, les supporters criaient même mon nom pour que je rentre. Ce sont des détails qui comptent énormément.

Tu en as besoin à Rennes ?

Non, je ne dis pas ça. Ça va venir avec le temps, c’est à moi de montrer aux supporters, comme c’était le cas à Gand.

« Il y a un an je jouais encore en N1, aujourd’hui je représente une nation »

Tu as inscrit ton premier but avec Rennes le soir de l’élimination en Ligue Europa face au Shakhtar Donetsk. Quelle émotion prédominait à la fin ?

J’étais dégouté. J’ai marqué, c’est bien, j’ai rendu fier mes parents, mais la qualification… Moi c’est mon rêve, l’Europe. Je suis vraiment venu ici pour ça. Je sais qu’ici on a un groupe qui peut même aller chercher la (qualification en) Champions League. Après je suis arrivé dans une période difficile, c’est aussi pour ça que j’ai du mal à me lâcher. Il y a toujours la pression, même les joueurs ici depuis longtemps l’ont ressenti. Du coup, moi qui vient d’arriver, je rentre et je me dis « si je fous encore plus la merde… » Donc step by step. Lyon je fais plutôt une bonne entrée, là (contre Reims) aussi. Je ne me pose pas trop de questions.

Tu étais titulaire à Nantes, mais tu enchaines pour le reste souvent les derniers quarts d’heure des rencontres. C’est comme ça que le déclic va venir pour toi ?

Oui, petit à petit. Mais chaque joueur. Tu ne viens pas dans un club comme Rennes pour jouer du jour au lendemain, à part si tu es transféré à 30 millions. Mais moi j’ai fait 11 matchs titulaires avec La Gantoise.

Est-ce que tout ça ne va pas trop vite pour toi ?

Trop vite je ne sais pas mais en tout cas je reste concentré. Je sais d’où je viens. Je viens de très loin. J’ai grandi dans un quartier de Bruxelles, dans un appartement à 7, avec les 4 enfants dans la même chambre. Je ne peux pas faire le mec. Je rentre à la maison, je vois mon père, ce sont des gens simples, et je veux grandir comme ça. Si j’ai des enfants, je les éduquerai de la même façon. On est des gens bien, respectueux, serviables. Si je pars dans 4 ans, tu verras que je serai la même personne que quand je suis arrivé le premier jour. Je reste le même. Après il ne faut juste pas me casser la tête (rires).

En mars, tu es même été appelé en équipe du Maroc. Ça a été une émotion forte ?

Je me réveille à 10h30 le jour de la liste. La liste était à 11h00. Je vois les défenseurs, puis Hakim Ziyech, Sofiane Boufal… Et puis là je vois ma grosse tête. Là j’ai pété un câble. (rires). Avant, j’entends mon frère qui fait « OUAIS !! ». En fait il était en avance par rapport à moi sur le live. J’étais trop heureux. Je suis fier d’être Marocain, mes parents sont Marocains, je vais tout le temps en vacances au Maroc. C’est l’une des plus belles émotions que j’ai eu depuis le début de ma carrière. Même mon but face au Shakhtar ça ne le vaut pas. Tu vois tes parents fiers de toi, tu vois dans leurs yeux qu’ils sont émus, je suis ému aussi. Je me dis qu’il y a un an je jouais encore en N1, aujourd’hui je représente une nation.

Comment s’est passé ce premier rassemblement ?

On est soudés, on a vraiment un groupe top. On m’a mis dans le bain, je connaissais Bilal El Khannouss. Sofiane Boufal m’a pris sous son aile, il m’a dit « toi t’es mon poulain ». Ça s’est fait naturellement, le feeling est passé direct.

Tu y as côtoyé Nayef Aguerd, l’occasion de parler du Stade rennais ?

Nayef il aime trop Rennes (rires). C’est trop. Les gens ici ont toujours une bonne image de lui. C’est quelqu’un de trop bon. Franchement. Il m’a dit que si j’avais besoin de quoi que ce soit, je lui disais.

Arthur Theate et Jérémy Doku t’ont-ils accompagné également quand tu es arrivé à Rennes ?

Le jour où j’ai signé, Arthur m’a dit qu’il était là. Les premiers jours, il m’emmenait à l’entraînement. Jérém’ aussi, il me ramenait à l’hôtel, il était vraiment là pour moi. Ce sont de bons gars.

Quelle image a le Stade rennais en Belgique ?

C’est un grand club. Ousmane Dembélé, Camavinga, Ben Arfa aussi. Doku aussi, il a la cote en Belgique. Après l’Euro qu’il a fait, il a vraiment la cote. Quand je l’ai vu à l’Euro, il m’a vraiment impressionné, encore maintenant à l’entraînement. Si tu ne le connais pas, il est injouable. Tu ne sais pas ce qu’il va faire, il est petit, costaud.

Tu as ici pas mal de concurrents en attaque, c’est plus difficile qu’à Gand pour s’imposer ?

Quand je suis arrivé à Gand, il y avait 6 attaquants et on jouait en 4-4-2. J’ai quand même fait ma place. Je ne me concentre pas sur les autres. Combien de personnes jouent à mon poste, tout ça, je m’en fous. Je suis concentré sur moi. Je sais que si je suis bon, je vais jouer. J’ai un style de jeu qui ressemble aux grands, comme Riyad Mahrez. Si eux sont arrivés là-bas, avec mes qualités aussi je peux faire ça à Rennes.

Tu penses avoir besoin que le coach te montre peut-être davantage sa confiance ?

Je ne sais pas, mais c’est plus moi-même. Bien sûr, ça fait plaisir quand ton coach te fait confiance et te montre de l’amour. C’est normal mais je sais que si je m’adapte et que j’ai le déclic, c’est là qu’il y aura la magie. Comme je l’ai dit, moi c’est tout ou rien. Une fois que ça sera passé, il y aura la magie, je serai confiant.

Quel type de coach est Bruno Genesio ?

C’est un coach qui relativise beaucoup, qui essaye toujours de ne pas s’attarder, quand il y a de mauvaises périodes, qui nous dit toujours « on s’en fout de ce que les autres pensent, on se concentre sur nous, et on va y arriver ». Il motive, franchement c’est un très bon coach. On doit avoir cette grinta qu’on a montré contre Reims. On est une équipe qui a beaucoup de qualités, mais c’est uniquement lorsque l’aspect mental suit qu’on gagne.

Tu as senti qu’il s’était passé quelque chose contre Reims ?

Oui. Tout le monde. On les attrapait, directement lorsqu’on perdait la balle, bam. C’est ça qui fait notre force. Ce n’est pas quand on veut jouer bloc bas et on attend. Non, nous on est une équipe qui doit attaquer. Le coach aime beaucoup Manchester City. On doit presser. Quand on récupère haut, c’est là que les joueurs font la différence ensuite.

Tu n’as pas participé à la série de 17 matchs sans défaites en première partie de saison…

(Il coupe) Non mais j’ai regardé, c’est ce qu’on avait perdu. Pressing haut, la faim, la grinta. À l’entrainement on avait ça, mais pas en match. Là on l’a (contre Reims). Maintenant il faut continuer, il y a encore 7 matchs et j’ai confiance. Je crois en l’équipe.

Florian Maurice a parlé de ton « oeil qui brille ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ouais, j’aime trop le foot. Je suis passionné. J’amène ma bonne humeur même quand le groupe va mal. J’essaye toujours d’amener ma petite touche folle. Je suis quelqu’un de fou moi (rires). Il faut que le groupe vive, c’est comme ça que tu crées des affinités. Même s’il y a des disputes hein. Après quand tu te serres la main, tu vois des hommes, tu crées des liens, et c’est comme ça qu’on va avancer.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la fin de saison ?

Des buts, hein. Des buts. Je veux jouer et marquer. J’ai envie de montrer à tout le monde de quoi je suis capable, et de marquer. C’est comme ça que je vais rendre fière ma famille.

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RÉCIT : De Bruxelles à Rennes, l’incroyable parcours d’Ibrahim Salah

Crédit Photos : Stade Rennais F.C.

Vos réactions (11 commentaires)

  • Lucien (ou Lulu pour les intimes)

    20 avril 2023 à 13h14

    Il a déjà montré plus de choses que Tokoflop

  • Gilles

    20 avril 2023 à 14h14

    Son nom est composé de 2 noms de star (Ibra et salah) c’est déjà un bon début.
    Il a l’air très sympa, une bonne bouille.
    Alors bats toi et ça viendra.

    ALLEZ RENNES

  • CondateFan

    20 avril 2023 à 16h43

    Nan mais ouais, c’est sûr je suis un fou moi, carrément un gueudin j’te jure, pour de vrai. Et même qu’une fois sur ma 103SP mon compteur affichait plus de 180, la vie d’ma mère, sur la petite route par chez moi là bas, tu vois. Nan et puis à mon ancien collège, olala t’aurais vu, je chopais une nouvelle meuf toutes les semaines. Si si, j’t’assure, j’étais trop un beau gosse à mon ancien bahut. Tous les profs m’adoraient, en plus j’étais trop fier d’être délégué de ma classe de 4emeB. Et les autres élèves me trouvaient super cool. Si, si c’est vrai. Nan mais ici ça va être pareil, tu va voir, je vais tout déchirer, mais je vais encore attendre un peu...

  • Felino35

    20 avril 2023 à 19h03

    Je pense que c’est un attaquant d’avenir au stade Rennais.il a un jeu simple en une touche de balle.je lui souhaite de réussir.

  • CondateFan

    20 avril 2023 à 19h06

    Exactement le genre de joueur sans filtre qu’à réussi à enfumer Flo-Mo. En plus il paraît humblement prétentieux, notre Ibrahim. Tellement bon qu’il n’a disputer pas plus de 10 matchs avec son ancien club. Mais,promis juré, c’était lui le plus fort de l’équipe. Le type se compare même à Mahrez. Pas sûr que d’être frêle et gaucher suffise pour égaler le talent du joueur de City. D’ailleurs si on devait comparer Salah à un gaucher célèbre du côté du Roahzon Park, on optera plutôt pour Romain DelCastillo. Ibrahim, avant qu’il ne parte en prêt ou ne soit vendu d’ici un an, comme Romain à l’époque, va nous sortir un match d’anthologie ou tout le monde va faire waouh ! Et puis plus rien. Et on se dira que c’est balo car le mec était le plus fort quand il évoluait en Belgique, mais que là, en Ligue1, il a pas la consistance.

  • Bigorneau

    20 avril 2023 à 20h42

    Condatefan, pourquoi tant de méchanceté ?Tu dois être très malheureux pour être aussi féroce !

  • Polo

    20 avril 2023 à 22h12

    Tout est dans le titre et c’est sur cela

  • Marco

    21 avril 2023 à 00h02

    Il est vrai que ceux qui claironnent leur humilité m ont toujours fait sourire ; cela n est ni humble, ni adroit. Espérons que cette adresse soit davantage présente sur le terrain. Ne pas perdre de vue aussi la jeunesse du joueur, synonyme d indulgence...

  • Lolo

    21 avril 2023 à 08h47

    OK mais pour progresser faut jouer ,alors à Mon avis il sera
    Prêté l’année prochaine

  • Tutuaal

    21 avril 2023 à 10h05

    En tout cas il est bavard notre ami Ibrahim. Ça serait pas pour me déplaire, moi qui me suis toujours méfié des taiseux souvent aussi insensibles à la défaite qu’à la victoire.
    Question terrain, sur le peu qu’on a vu, il semble plutôt adroit et capable de s’intégrer rapidement au collectif rennais. Bien entouré et mis en confiance, je le vois faire de belles choses. Point important : il a été sélectionné en équipe nationale. Quand on voit la qualité de l’équipe marocaine, force est de reconnaître que son recrutement à Rennes peut s’avérer une très bonne pioche.

  • yann

    21 avril 2023 à 17h06

    On espère , on a envie de rêver , mais quelque part on se dit bah non il est pas la pépite

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