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23 novembre 2021 | à 12h33

ENTRETIEN - Pierre-Emmanuel Bourdeau : « On ne veut pas former des équipes, mais des joueurs d’équipe »

Ancien joueur revenu au club en 2008 dans la peau d’éducateur, Pierre-Emmanuel Bourdeau (46 ans) a connu toutes les catégories depuis les moins de 15 ans, jusqu’à prendre en charge la réserve il y a quelques mois. Après une préparation compliquée, la N3 est deuxième au classement, avec 5 victoires, 1 nul et 2 défaites. Avant la réception de Saint-Pierre Milizac samedi (victoire 2-1), le coach ayant vu cette saison bon nombre de jeunes intégrer le groupe pro s’est confié à Stade Rennais Online. Entretien.

ENTRETIEN - Pierre-Emmanuel Bourdeau : « On ne veut pas former des équipes, mais des joueurs d’équipe »

A ce stade de la saison, quel bilan pouvez-vous déjà tirer ?

Je ne sais pas si on peut dresser un bilan aussi tôt, mais ce qui est existant, c’est qu’on a un groupe très jeune, comme souvent avec la réserve. Avec le covid, c’est un groupe assez inexpérimenté. On a démarré la saison et quasiment 80% de l’effectif n’avait jamais joué en N3. On allait un petit peu dans l’inconnu. Les premiers matchs amicaux nous ont donné raison sur l’idée que c’était un groupe à construire, et à faire progresser car le monde senior est un monde différent. Sur la préparation, on a eu quelques déconvenues, notamment le tournoi de Ploufragan (début août, ndlr) qui nous a permis de faire un vrai état des lieux du groupe, et sur leur capacité à pouvoir exister en senior. Ça a été salvateur malgré tout, car on a pu construire certaines choses avec ce tournoi. C’est une date finalement assez importante car depuis on a discuté avec les garçons pour mettre quelque chose en place. Le rendu aujourd’hui est cohérent. Le groupe a bien progressé même s’il reste très perfectible. Il vit bien, progresse bien, est en devenir, et s’adapte progressivement au monde senior.

Avez-vous été déçu après ce tournoi de Ploufragan, dans un premier temps, notamment par les cadres ?

Quand tu démarres la saison, tu regardes le groupe, et tu vois des cadres avec un vécu un peu plus important. Tu as toujours l’envie que ces garçons là tirent le groupe vers le haut. On s’est aperçus que ces garçons là se sentaient peut-être déjà installés, dans un confort d’entraînement, de match, se disant qu’étant plus vieux, ils n’avaient pas forcément besoin de faire plus que les autres. On a vu que c’étaient les plus jeunes finalement qui mettaient les choses en place. Le rendu des plus vieux sur le terrain n’était pas celui qu’on attendait d’eux. Je trouvais qu’il y avait un déséquilibre dans ce groupe. Le tournoi de Ploufragan nous a permis de remettre les choses au clair sur ce qu’on attendait, notamment des garçons avec plus d’expérience. Ils ont plutôt bien répondu. A partir de là, on a senti une réelle cohésion de groupe, et un groupe qui commençait à performer. Cette date là est pour moi l’étape la plus importante de notre début de saison.

Est-ce qu’ils l’ont bien pris, malgré leur statut de cadre ?

Avec les jeunes, il faut être sincère. Il ne faut pas se cacher, les jeunes ont besoin de sincérité. Il ne faut pas leur mentir. Il faut être sincère, mais juste. Ils ne sont pas bêtes, ils ont une connaissance d’eux-mêmes et du jeu en général, et ils se sont bien aperçus que ce qu’ils rendaient sur le terrain ne correspondait pas à ce qu’on attendait d’eux. Ce sont des garçons en fin d’apprentissage, et la prochaine étape est d’aller tutoyer le groupe pro. Ça a probablement un peu piqué, mais si on est sincère et justes, ils sont capables de mettre en place des choses.

Vous avez connu toutes les catégories de jeunes depuis les moins de 15 ans. Est-ce que vous appréhendez ces jeunes adultes différemment dans votre management ?

Il y a probablement certaines choses que je ne me serais pas permis de dire avec des plus jeunes, même s’il faut toujours de la sincérité. Après il y a la manière de le dire. Avec certains garçons dans ce groupe, il faut savoir leur dire les choses pour qu’ils les affronte de manière directe. On est dans un « money-time » pour eux, il n’y a plus de temps à perdre. S’ils ont encore la possibilité d’accrocher quelque chose ici au club, c’est en leur disant qu’ils font des choses bien, mais qu’il y a malgré tout une marge de progression importante s’ils veulent basculer dans le groupe pro. Après ils répondent ou non. Pour le moment, ils répondent bien.

D’autres cadres se sont-ils dégagés, et avez-vous besoin de cadres pour fonctionner ?

Il faut quand même des joueurs moteurs, peu importe leur âge. La génération 2005 a au départ été le moteur, même si on ne les attendait pas forcément. Je trouve qu’il en faut pour pouvoir amener les garçons qui ont une capacité d’entraînement moins importante vers l’intensité, l’engagement, la concentration. Ça fait profiter tout l’effectif. On arrive à élever le niveau du groupe, grâce notamment aux cadres, si on peut les appeler comme ça. Je trouve ça essentiel.

Il a fallu en début de saison composer avec la blessure de Guéla Doué, et faire des choix importants comme le replacement de Noah Françoise.

On était déçus pour Guéla car il était dans une phase plutôt intéressante. C’était un garçon sur lequel on pouvait s’appuyer beaucoup. Ça a un peu rebattu les cartes sur le plan défensif. Noah a plutôt évolué en défense centrale. Il a fallu lui expliquer les choses. Il se voyait plutôt jouer au milieu. Aujourd’hui, ce qu’il fait sur un poste plus défensif, c’est quand même très intéressant. Il ne faut pas qu’il se ferme la porte car il a les qualités pour pouvoir s’exprimer et exploiter tout son potentiel sur un poste de défenseur central. Il a compris, pris son rôle à coeur, et est aujourd’hui dans une voie intéressante.

A l’heure pour ces joueurs de passer pro, y a t-il une volonté de leur amener de la polyvalence, ou faut-il les spécialiser sur un poste ?

On n’est pas vraiment sur les postes, même s’il faut à un moment malgré tout les spécialiser. Notre mission est notamment de développer leur lecture sur plusieurs systèmes, à la fois quand on a le ballon et qu’on ne l’a pas. On utilise beaucoup la défense à 4, mais on leur a amené aussi une défense à 3. Ce sont des garçons qui arrivent en fin de parcours et ont une connaissance du jeu importante. On veut leur amener une capacité d’analyse, notamment quand l’adversaire change de système, pour qu’ils puissent s’adapter le plus vite possible en pro.

Il y a cette saison eu deux belles surprises : Jeanuel Belocian et Désiré Doué. Quel regard portez-vous sur leur progression ?

On savait, ce n’est pas sorti du chapeau, forcément, que ce sont des garçons avec un fort potentiel, qui sont intéressants. Malgré tout, ils n’avaient pas de vécu à ce niveau là. On ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils puissent déjà répondre aux attentes en N3. On parlait de joueurs moteurs, eux dès le début de saison l’ont été. Jeanuel a été élu meilleur espoir du tournoi de Ploufragan. S’ils continuent à faire ce qu’ils font et mettent en place, je ne veux pas trop m’avancer, mais ce sont des garçons avec un vrai potentiel.

« Ce sont des graines de champions, quand tu les intéresses, ils répondent vite »

Avec une N3 si jeune, à quoi devez-vous être vigilant ?

On l’a vécu contre Saint-Brieuc (défaite 3-5 à domicile, le 6 novembre dernier, ndlr). On est une équipe qui veut avoir le ballon, être dominante dans les matchs, ne pas subir, gérer les tempos de matchs, et on prend beaucoup de risques dans le match. On les amène là-dedans. Le souci avec les jeunes, c’est notamment qu’ils puissent à l’intérieur du match, oublier quelques fondamentaux. C’est bien d’avoir le ballon, mais il faut être capable quand tu ne l’as plus, de mettre des choses en place, être fort sur les transitions. Certains savent faire les efforts offensifs, mais les amener sur les contre-efforts, c’est là qu’il faut être vigilant. Pour le moment ça ne nous a pas porté trop préjudice. Il ne faut pas qu’ils deviennent des demi-joueurs. C’est aussi car ils se sont souvent construits dans des équipes de jeunes à Rennes qui ont beaucoup le ballon, donc ne défendent pas beaucoup ou peu, ou même en ne défendant pas très bien ne sont pas trop inquiétées. Mais quand vous montez dans les catégories, il faut être de plus en plus pertinent.

Pour faire écho aux récents propos de Laurent Viaud pour So Foot, quel regard portez-vous sur la jeune génération d’aujourd’hui ?

Je trouve que ce sont des générations, si tu les intéresses, si tu leur donnes des axes d’amélioration importants, si tu les sensibilises bien sur leurs besoins, même si ce sont des garçons assez égocentrés dans un sport collectif, la dynamique d’entraînement est complètement différente. On ne veut pas former des équipes, mais des joueurs d’équipe. C’est un peu paradoxal, mais c’est la réalité. Jeanuel Belocian a besoin de certains choses, Désiré Doué d’autres choses. Si tu es trop généraliste, peut-être qu’ils ne vont pas avoir la motivation. Mais intéresses-les sur leurs besoins, c’est une génération qui répond bien. Ma génération, on était très global, beaucoup tournés vers l’équipe. Aujourd’hui n’être que sur l’équipe ça ne suffit plus. Il faut les intéresser sur le plan individuel. Oui l’équipe, mais qu’est-ce qu’on apporte pour eux ? Quand tu arrives à amener ça dans leur cursus, ce sont des compétiteurs. Ce sont des graines de champions, quand tu les intéresses, ils répondent vite.

C’est spécial comme travail pour un entraîneur, de développer davantage l’individu que l’équipe.

Si tu améliores sur le plan individuel, tu vas améliorer l’équipe. Si tu améliores l’équipe, tu vas améliorer l’individuel. C’est un cercle dynamique, il faut savoir jongler avec les deux, trouver le juste milieu. Le métier de formateur a évolué. Il y a 15 ans, on était beaucoup sur l’équipe. On est aujourd’hui sur le développement individuel dans un sport collectif. Il y a ensuite le travail sur le jeu, le plan tactique. Quand tu trouves ce juste milieu, tu peux amener les jeunes à bosser, être acteurs de leur formation. Il y a toujours quelques individus un peu coriaces, mais c’est comme dans tout métier.

Votre métier a beaucoup changé du fait de la professionnalisation précoce des joueurs. Ne passent-ils finalement pas professionnel trop tôt ?

A mon époque, quand tu passais pro, tu avais déjà fait des matchs en pro, tu t’entrainais avec les pros, tu avais prouvé certaines choses. Aujourd’hui, si tu veux protéger les garçons, et notamment les forts potentiels, tu es obligé de les protéger vite. La seule façon de le faire aujourd’hui, c’est de passer pro. Ils sont tellement sollicités, on ne se rend pas compte. Les internationaux notamment sont demandés par l’Europe entière. Pour des garçons plus fragiles, ça peut les perturber. Ici au club, je trouve qu’on a des garçons qu’on arrive à construire au niveau de leur mentalité. Les retours qu’on a du groupe pro, c’est que ce sont des garçons qui dont la mentalité et le travail, même s’ils ont un cursus plus rapide que les autres, qu’ils montent de plus en plus jeunes… Mathys Tel, de 2005, c’est extrêmement jeune. Si tu arrives à bien les construire dans leur mentalité, dans leur capacité à travailler… On a moins de soucis que dans les années précédentes. Après il y a des contre-exemples. Ousmane Dembélé a signé plus tard, même s’il était assez précoce. Est-ce que dans son approche, il était prêt à affronter ce milieu là ? On s’aperçoit que ça n’a pas été évident pour lui malgré tout. On a aujourd’hui des garçons qui ont signé plus tôt, comme Matthis Abline ou Andy Diouf, qui n’ont pas encore réussi totalement ou explosé, mais qui malgré tout n’ont pas été impactés par le fait de signer tôt.

« Les amener en haut, et qu’ils n’en redescendent plus »

Bruno Genesio et Florian Maurice ont cette saison décidé de composer l’effectif pour un tiers de jeunes. Comment avez-vous accueilli cette décision, et avez-vous été consultés ?

Non pas du tout. On n’intervient pas sur les décisions de qui conserver dans le groupe pro. On fait notre job, qui est de les amener au plus niveau, à s’entraîner à un moment donné avec les pros. La décision finale ne nous appartient pas. Notre idéal est de les amener en haut, et qu’ils n’en redescendent plus une fois qu’ils y sont. Pour parler de la génération 2003-2004-2005, ils devaient faire la reprise avec les pros et en fonction de ce qu’ils montraient, ils restaient ou non. Notre job n’est pas de former des équipes, mais des joueurs et de les amener en haut. Quand tu vois ces garçons monter dans le groupe pro, alors qu’ils ne sont malgré tout pas encore tout à fait construits, et qu’ils y restent et peuvent s’y installer, pour nous c’est exceptionnel. Ça vient valider tout notre travail, des éducateurs et de l’Académie.

Il arrive parfois qu’ils fassent la navette avec la N3, comme Mathys Tel et Matthis Abline récemment. Comment les récupérez-vous mentalement ?

J’ai la chance de les avoir connu auparavant, c’est une relation différente. Ce n’est pas comme s’ils étaient des pros redescendant dans une structure qu’ils ne connaissent pas. Matthis, Mathys et Andy, pour nous, hier ils étaient encore là, et pour eux aussi je pense. Ils se sentent encore intégrés dans cette Académie. Je n’ai pas de soucis avec eux quand ils redescendent, je les connais assez. On a un lien plutôt important. Le ressenti que j’ai, il faudra leur poser la question, c’est que malgré tout redescendre dans le groupe N3 pour jouer leur donne un peu d’oxygène. Ils jouent, car ce n’est pas évident pour un jeune de jouer en pro, et regoûter un peu à ce qu’ils ont vécu, je n’ai pas le sentiment que ce soient des joueurs déçus. Avant d’être de bons footballeurs, ce sont de bons gamins.

Certains sont dans des situations paradoxales où ils jouent très peu en pros, ne redescendent pas toujours en réserve, et jouent en sélections jeunes. Est-il encore possible de bien travailler en N3 pour le Stade rennais ?

Est-ce que le groupe qu’on a cette saison en N3 serait capable de performer en N2 ? La N3 nous permet de faire jouer des joueurs qui en N2 seraient peut-être plus en difficulté. Les jeunes du groupe pros sont déjà des joueurs confirmés aux yeux de l’Académie. On a le devoir quand on fait appel à nous de faire jouer ces joueurs, mais aussi de continuer à faire progresser des garçons qui demain pourront intégrer le groupe pro. On est toujours pris un peu entre deux. Il y a vrai fossé entre N3 et N2, je pense. Chaque année, on rajeunit de plus en plus au niveau de la moyenne d’âge de l’équipe réserve. Jouer et être en difficulté chaque week-end va t-il optimiser leur potentiel ? Je ne suis pas sûr. Il ne faut pas que la difficulté devienne insurmontable, pour qu’ils puissent continuer à grandir avec beaucoup de confiance, en gagnant des matchs. Mais on ne s’interdit rien. La N3 nous a t-elle empêcher de sortir les Abline, Diouf, Truffert, ou Omari ? Pas forcément. Le niveau de compétition n’a pas forcément été un frein ces dernières années.

Pour des joueurs n’ayant pas encore beaucoup de temps de jeu en pro, il ne manque pas un niveau intermédiaire entre Ligue 1 et N3, que pourrait être un prêt ?

Pour leur première année dans le groupe pro, avec ce qu’ils vivent ils ne perdent pas leur temps. Ils s’entrainent avec un groupe solide, avec de très bons joueurs autour d’eux. Ils prennent de l’expérience, ils prennent un peu de temps de jeu, ils ont la sélection et sont internationaux. La question se posera peut-être la saison prochaine. Est-ce qu’un prêt ne sera pas mieux pour eux ? Ce sera une décision de club, ce n’est pas à moi d’y répondre. Mais le temps de jeu, il va falloir qu’ils aillent le chercher ici ou ailleurs. Ça sera leur évolution dans le groupe, ce qu’ils vont montrer, ça laisse encore un petit peu de temps.

Vous êtes revenu au Stade rennais il y a 14 ans, et avez connu tous les échelons de la formation ou presque. Quels objectifs personnels vous fixez-vous ?

Je n’ai pas de plan de carrière. Je n’ai pas la fibre de me dire qu’il faut que j’aille chercher plus haut, dans le monde pro et connaitre autre chose. Il faut trouver son plaisir là on peut le trouver. Moi je me sens formateur dans l’âme. Je n’ai pas d’ambition du tout d’aller gratter chez les pros. Ce n’est pas mon objectif. Mon seul plaisir est de voir des garçons, grandir, progresser. Le plaisir que j’ai, c’est quand je vais voir des matchs le samedi, et que je vois entrer Matthis Abline, Mathys Tel, Andy Diouf, Adrien Truffert ou Warmed Omari. Je vis pour ça, comme beaucoup d’éducateurs je pense. Mon plaisir, il est là.

Le staff de Pierre-Emmanuel Bourdeau :

  • William Stanger (entraîneur adjoint)
  • Firmin Carré (préparateur athlétique)
  • Jérôme Hiaumet (entraîneur des gardiens)
  • Ludovic Ancher (analyste vidéo)

Propos recueillis par Thomas Rassouli

Vos réactions (2 commentaires)Commenter
CondateFan 23 novembre 2021 à 18h28

Un groupe de qualité, des jeunes talentueux.
Une vision pour le futur. Le nouveau PEB regarde haut, la ?

Rodighiéro 6524 novembre 2021 à 10h05

un très bel article, des jeunes talentueux qui ont la chance d’être très bien encadrés, j’ai beaucoup apprécié la phrase d’ E Bourdeau « quand tu améliores l’individu , tu améliores le collectif », c’est à mon sens fondamental , bravo à ce club qui travaille à tous les niveaux , ça fait du bien au moral , quand certains irresponsables donnent de ce sport une si triste image , ALLEZ LE STADE .

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